Le changement climatique perturbe le cycle de l’eau et ses effets sont déjà perceptibles sur les ressources en eau du bassin rennais. En 2019 la chaire de recherche et de formation « Eaux et Territoires » est mise en place au sein de la Fondation Rennes 1, avec le financement d’Eau du Bassin Rennais et le soutien de Rennes Métropole afin de répondre à une question : quel est l’avenir des ressources en eau à l’échelle du bassin rennais dans un contexte de changement climatique ? Les travaux de thèse de R. Abhervé dressent un bilan alarmant quant à la disponibilité en eau dans le futur et montrent la nécessité d’adapter les stratégies de gestion de la ressource.
Un appui scientifique à la gestion de la ressource en eau
L’objectif principal de la collectivité Eau du Bassin Rennais est de fournir, en continu, une quantité d’eau potable suffisante et de bonne qualité aux 500 000 habitants de son territoire, soit près de la moitié du département d’Ille-et-Vilaine (35). À l’échelle du bassin rennais, les tendances climatiques vont dans le sens des travaux déjà réalisés à l’échelle de la Bretagne : augmentation des phénomènes extrêmes, périodes chaudes et sèches de plus en plus fréquentes et aggravation du déficit en eau. Associées à la croissance de la demande en eau, ces nouvelles conditions climatiques fragilisent l’ensemble du système d’alimentation en eau potable.
Exposés à cette nouvelle vulnérabilité, les gestionnaires de l’eau potable d’Eau du Bassin Rennais font appel à l’appui scientifique pour projeter l’évolution de la disponibilité en eau en amont des ouvrages de captage. Cette requête nécessite de développer des questions de recherche spécifiques pour mieux comprendre le fonctionnement des hydrosystèmes et in fine, les modéliser.
En 2019, la Chaire « Eaux & territoires » offre le cadre propice à une collaboration de plus de 3 ans entre chercheurs de l’OSUR (UMR Géosciences – Université de Rennes, CNRS), élus, gestionnaires de l’eau et de l’assainissement (SPL et Collectivité Eau du Bassin Rennais, Rennes Métropole). Cette collaboration s’est concrétisée autour des travaux de thèse de Ronan Abhervé (OSUR Géosciences Rennes) avec la production d’un premier bilan du passé (1980-2020) permettant de calibrer des modèles hydrogéologiques et une projection du futur (2020 à 2100). Ce travail a pu s’appuyer sur les données provenant des bassins versants qui alimentent la métropole rennaise, et particulièrement sur celles issues du fonctionnement du barrage de la Chèze, ouvrage central du système d’alimentation en eau potable.
Une modélisation hydro(géo)logique à l’échelle du bassin-versant
Sur le bassin rennais, mais plus généralement en Bretagne, le contexte géologique de socle ancien, les conditions climatiques et de la topographie locale favorisent les transferts d’eau de la nappe d’eau souterraine vers les rivières. Les eaux de surface sont soutenues par un ensemble de nappes connectées et proches de la surface.
Les travaux de thèse se sont orientés vers la modélisation hydrogéologique en 3D prenant en compte la topographie, une épaisseur d’aquifère, les propriétés hydrauliques d’écoulement et de stockage des formations géologiques. Cette approche se focalise sur les relations entre la subsurface et la surface, et plus spécifiquement, sur les résurgences d’eau souterraine générées par l’interception de la nappe avec la topographie. Cette stratégie permet de simuler le débit et l’architecture des cours d’eau du bassin selon les précipitations et les saisons. sur un pas de temps journalier à mensuel.
Pour caler les modèles, une méthode de calibration innovante basée sur le réseau hydrographique de surface observé est proposée, dans le but d’estimer les propriétés hydrauliques de l’aquifère (Abhervé et al., 2022).
D’autre part, les modèles hydrogéologiques développés simulant la dynamique spatio-temporelle d’expansion/contraction du réseau hydrographique à l’échelle du bassin-versant, la probabilité d’intermittence des cours d’eau, les assecs ou les débits d’étiage peuvent être quantifiés.
Cette stratégie de modélisation hydrogéologique est reproductible sur de multiples sites d’étude. Les capacités de déploiement et de transférabilité ont permis de calibrer un premier modèle hydrogéologique pour la majeure partie des bassins-versants, destinés à l’alimentation en eau potable du bassin rennais.
L’intégration des projections climatiques
L’intégration des projections climatiques (RCP2.6 et 8.5 – approche multimodèles) aux modèles hydrogéologiques calibrés a permis de simuler l’évolution spatio-temporelle de la quantité d’eau en amont des points d’intérêt (barrages, stations de rejets…). Les travaux de thèse ont mis en avant l’influence des caractéristiques physiques de l’aquifère (lithologie – propriétés hydrauliques – capacité de stockage – temps de réponse) sur la résilience des bassins-versants, face aux conditions climatiques futures, caractérisées par des épisodes de déficit en eau plus longs, et plus fréquents. Bien que les incertitudes s’accumulent sur l’ensemble de la chaîne de modélisation, on peut affirmer que les projections hydrologiques dressent un bilan plutôt pessimiste de la disponibilité en eau dans le futur à l’échelle du bassin rennais, avec des têtes de bassin versant particulièrement impactées. Ces projections mettent en lumière la nécessité de réfléchir à la résilience du système de gestion actuel et de son éventuel redimensionnement, et d’adapter les modalités de gestions opérationnelles des barrages comme la Chèze (ajouts, prélèvements et restitution), ou encore des eaux de rejet des stations de traitement et d’épuration des eaux.
Des résultats opérationnels
Au vu des projections, le besoin de connaissances et d’outils pour adapter les stratégies de gestion devient critique pour Eau du Bassin Rennais et Rennes Métropole. En misant sur l’anticipation, les gestionnaires de l’eau potable évoquent la nécessité d’avoir recourt à des prévisions hydrologiques, en quasi-temps réel, ou à l’échéance hebdomadaire/mensuelle. Au stade actuel des travaux, les méthodes d’analyse et les outils de modélisation numérique produits dans la thèse de Ronan Abhervé et disponibles en « open-access », constituent une première base pour répondre à ce défi majeur, et complexe, qu’est l’intégration du changement climatique à la gestion de la ressource en eau.
Documents disponibles
1 – Intégration du changement climatique dans la gestion de la ressource en eau : exemple du bassin rennais
Thèse de doctorat en Sciences de la terre et de l’environnement de Ronan Abhervé, sous la direction de Luc Aquilina, Jean-Reynald De Dreuzy et de Stéphane Louaisil.
Résumé : “Le bassin rennais n’est pas épargné par le changement climatique. Les conditions inhabituelles fragilisent déjà le système d’alimentation en eau potable du territoire. Mais qu’en sera-t-il dans le futur ? Les gestionnaires d’Eau du Bassin Rennais ont besoin d’outils pour prédire l’évolution des ressources en eau en amont des ouvrages de captages. Pour y répondre, la démarche de modélisation hydro(géo)logique développée, adaptée au contexte géologique de socle en Bretagne, s’est concentrée sur les relations entre la nappe d’eau souterraine et les cours d’eau. En se basant sur le réseau hydrographique de surface, une méthode de calibration des modèles a été innovée pour estimer les propriétés de la subsurface. L’approche de modélisation basée sur les processus hydrogéologiques reproduit l’intermittence des cours d’eau, indicateur de la résilience des bassins versants. Une fois la calibration validée, les modèles hydrogéologiques sont forcés par de multiples projections climatiques, allant de 1980 à 2100, et selon différents scénarios d’émission de gaz à effet de serre (RCP). Ces simulations hydrologiques fournissent une enveloppe de trajectoires probables d’évolution future du stock d’eau souterraine, du débit des cours d’eau, et de l’intermittence du réseau hydrographique. De manière générale, les projections prévoient une extension des périodes de déficit en eau, avec une occurrence accrue d’années de sécheresses consécutives. Les connaissances apportées et les outils opérationnels développés dans le cadre de cette thèse permettent, d’une part, de progresser sur des questions de recherches en plein essor, et d’autre part, d’offrir de nouvelles perspectives d’anticipation et d’optimisation des stratégies de gestion de l’eau, à l’échelle du territoire.”