L’eau douce est une ressource vitale par les services essentiels qu’elle rend aux écosystèmes et aux humains, mais c’est également une ressource limitée dans l’espace et dans le temps. C’est pourquoi elle doit être considérée comme un bien commun à partager. L’augmentation des besoins en eau engendrée par l’évolution de la démographie, le développement économique et le changement climatique fait apparaitre sur le territoire breton de nouvelles tensions entre usagers de l’eau qui s’ajoutent à la nécessité de préserver les milieux aquatiques. Dans ce contexte, la pression pour sécuriser la ressource et satisfaire tous les usages est forte, et le recours à des infrastructures de stockage d’eau est envisagé par certains acteurs, notamment pour l’irrigation. Or, il s’avère que les retenues d’eau ont un impact important sur l’hydrologie, la qualité de l’eau, les habitats et les espèces aquatiques. Leur mobilisation peut in fine conduire à une mal-adaptation au changement climatique, notamment si elle ne s’ancre pas dans une logique territoriale globale considérant tous les usages de l’eau.
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Les retenues en question
Selon le Guide juridique pour la construction de retenues édité par le Ministère (MEDTL) en 2013, le terme « retenue » désigne « toutes les installations ou ouvrages permettant de stocker de l’eau (…) quel que soit leur mode d’alimentation (…) et quelle que soit leur finalité (…). »
Les retenues montrent une grande diversité, qu’il s’agisse de leurs taille et forme, de leurs modes d’alimentation et de restitution de l’eau, de leur position dans le bassin versant et vis-à-vis du cours d’eau, ou des usages associés. Les travaux de l’expertise scientifique collective (ESCo) sur l’impact cumulé des retenues menés en 2016 ont donné lieu à l’élaboration d’une typologie des retenues, qui distingue principalement 5 grands types de retenues en fonction de leur mode d’alimentation, incluant leur position sur le cours d’eau (figure 1) : (1) pompage en nappe, (2) pompage dans la rivière, (3) retenue collinaire alimentée par ruissellement (déconnectée du réseau hydrographique), (4) retenue en dérivation du cours d’eau, (5) retenue en barrage sur le cours d’eau. Cette typologie doit être complétée par le mode de restitution de l’eau au milieu, et par les usages (prélèvement d’eau ou pas) associés à la retenue.
« La substitution désigne la pratique qui permet de prélever l’eau dans le milieu hors période de tension (en automne-hiver dans le cas général) pour la stocker dans une « réserve » utilisée en été et diminuer d’autant les prélèvements dans le milieu en période d’étiage » (ESCo, 2016).Le stockage se substitue ainsi à des prélèvements directs dans le milieu (nappe ou cours d’eau) en période de tension.
Les retenues de substitution permettent de stocker l’eau par des prélèvements anticipés ne mettant pas « en péril les équilibres hydrologiques, biologiques et morphologiques » (Rapport CGEDD, 2018), et viennent en remplacement de prélèvements existants, notamment pour l’irrigation. Ce sont des « ouvrages étanches, déconnectés du milieu naturel aquatique en période de basses eaux et alimentés exclusivement par des prélèvements hors période de basses eaux. Une retenue de substitution peut être alimentée par pompage dans le milieu (nappe ou cours d’eau) ou en interceptant les écoulements. Dans ce cas, l’ouvrage doit « être équipé d’un dispositif de contournement garantissant qu’au-delà de son volume et en dehors de la période autorisée pour le prélèvement, toutes les eaux arrivant en amont de l’ouvrage ou à la prise d’eau sont transmises à l’aval, sans retard et sans altération » (Sdage Loire Bretagne, 2022).
Lorsque les volumes prélevables, les périodes de remplissage et les seuils hivernaux de gestion (piézométriques et de débit) garantissent les équilibres du milieu (notamment concernant l’impact des prélèvements hivernaux) et sont respectés, « les retenues de substitution amélioreraient les piézométries et débits des cours d’eau à l’étiage » (BRGM 2022).
Quels impacts sur l’environnement ?
Le travail d’ESCo de 2016 a confirmé la réalité des effets des retenues sur l’ensemble des caractéristiques fonctionnelles de l’hydrosystème (hydrologie, hydromorphologie, milieu aquatique, qualité de l’eau…), mais aussi leur complexité, leur diversité et la variabilité de leur intensité en fonction du contexte. En effet, l’impact d’une retenue isolée dépend à la fois des caractéristiques du bassin versant amont de la retenue (géologie, topographie), des caractéristiques propres de la retenue et des caractéristiques du cours d’eau récepteur. L’impact cumulé d’un ensemble de retenues sur le milieu aquatique est donc difficile à appréhender, et les connaissances acquises notamment lors de l’ESCo et des projets ICRA (OFB, 2019) restent partielles.
Alors que le recours aux retenues est envisagé pour sécuriser la ressource en eau, il semble essentiel d’être collectivement conscients que les retenues induisent une modification de l’amplitude, de la dynamique et de la saisonnalité des flux et des concentrations dans le cours d’eau.
Hydrologie
Les retenues impactent la dynamique naturelle des débits (d’étiage ou de crue) et/ou des nappes (modification de la cinétique de recharge) selon les périodes de stockage/déstockage de l’eau, ainsi que les volumes d’eau écoulés à l’aval via perte (évaporation) ou prélèvements (usages) d’eau.
Il est essentiel d’évaluer correctement les variations spatiales et temporelles de la perte d’eau par évaporation des retenues en climats actuel et futur. L’évaporation provoque un surplus de pertes hydriques par rapport à un couvert végétal, et une perte nette concernant la recharge des nappes. L’évaporation est d’autant plus importante que la surface de la retenue, sa température en surface et la température de l’air sont importantes. Elle est donc plus forte en période estivale et sur des retenues étendues et peu profondes. De nombreuses études indiquent que l’évaporation varie entre 0,25 et 1,8 L/s/ha et est en moyenne de 0,5 L/s/ha (Boutet-Berry et al., 2011). Dans certaines régions, les taux d’évaporation peuvent dépasser la consommation d’eau ou les taux de précipitation (Friedrich et al., 2018, EPTB Vienne 2020). L’impact hydrologique de ces pertes est significatif si elles constituent une proportion significative du débit d’étiage du cours d’eau : plus le débit d’étiage est faible et plus l’impact sera important (Habets et al., 2019).
Par ailleurs, les prélèvements réalisés dans les retenues sont rarement restitués au milieu naturel, en particulier dans le cas des retenues pour l’irrigation, et peuvent constituer une perte importante pour le bassin versant. A noter également que les retenues sur cours d’eau ou sur sources (parfois abusivement considérées comme des retenues collinaires) sont susceptibles de se remplir plusieurs fois, même pendant la période d’étiage, avec des volumes prélevés supérieurs aux capacités de stockage.
Le cumul de retenues induit des réductions de débits annuels (entre 7 et 35 %) particulièrement notables lors des années sèches (jusqu’à 50 %), avec des impacts marqués en été sur les basses eaux, et en tête de bassins versants (ICRA, 2021). Quand elles ne sont pas déconnectées en été, ce qui est maintenant obligatoire, les retenues collinaires, qui interceptent l’eau de ruissellement provenant des précipitations, limitent la contribution des pluies estivales au débit d’étiage.
L’impact d’un recours important à des retenues de substitution avec remplissage hivernal sur le fonctionnement global des cours d’eau reste à évaluer. Cela suppose de mieux caractériser l’intérêt écologique des débits de hautes eaux (décolmatage, crue morphogène, frayère, recharge de nappes, alimentation du littoral, etc.), ainsi que l’impact sur ces débits des rabattements piézométriques dus aux pompages. Cependant, il semble pertinent d’intégrer une logique d’effet cumulé sur le compartiment souterrain, plusieurs retenues pouvant être alimentées par pompage à partir de la même nappe. À noter qu’une baisse des niveaux de nappes sur le bassin versant peut induire une déconnexion nappe/rivière et engendrer une rupture prématurée dans le soutien d’étiage du cours d’eau au printemps, ou une mise à sec précoce des forages peu profonds.
Enfin, les connaissances actuelles concernant l’impact des retenues sur le cycle de l’eau en général ne permettent pas d’établir des bilans hydriques complets intégrant l’évaporation (retenues), l’évapotranspiration (végétation naturelle et végétation cultivée), l’effet du taux d’humidité dans l’atmosphère sur les températures et la sécheresse, etc.
Hydromorphologie
Les retenues constituent des pièges à sédiments, notamment grossiers. La modification conjointe du débit et du transport solide, liée à la position de ces retenues dans le bassin versant ainsi qu’à l’occupation du sol, impacte les équilibres hydromorphologiques et induit des modifications du lit du cours d’eau en aval (incision ou colmatage selon le cas). Par ailleurs, le mode de gestion des retenues, et notamment les vidanges, a également un impact fort sur l’hydromophologie du cours d’eau aval.
Physico-chimie
D’un point de vue des caractéristiques physicochimiques, les retenues constituent notamment des lieux de stockage ou d’interception de phosphore, de pesticides (ce qui contribue à leur dégradation), d’azote (processus de dénitrification) et de carbone. Elles contribuent à l’élévation de la température de l’eau ainsi qu’à la diminution des teneurs en l’oxygène dissout à l’aval du cours d’eau, selon le mode de restitution de l’eau. Tous ces facteurs contribuent alors à des risques significatifs d’eutrophisation au sein des retenues. Concernant ces 2 derniers paramètres, les effets cumulés des retenues sont avérés, même s’ils sont très dépendants de l’implantation des retenues dans le bassin versant et notamment des distances d’influence (éloignement) entre 2 retenues (ICRA, OFB 2022). À noter que la diminution des débits induite par les retenues (cf. § précédent) impacte la capacité de dilution des cours d’eau.
Biologie
Les principaux effets des retenues sur le compartiment biologique concernent les populations d’invertébrés benthiques et les populations piscicoles vivantes en amont, dans et en aval de leur implantation. Les retenues en barrage sur le cours d’eau constituent un obstacle à la libre circulation et à la dispersion des espèces, modifient les conditions biotiques et abiotiques, induisent une diminution des espèces rhéophiles et favorisent l’implantation d’espèces invasives. Une retenue induit également l’installation d’un nouveau milieu, susceptible d’abriter un nouveau cortège d’espèces, distinct de celui du cours d’eau, et qui pourra alors coloniser le réseau hydrographique et interagir avec les espèces en place. Sur les retenues jouant le rôle de réservoir biologique, l’utilisation des volumes stockés peut engendrer des marnages importants susceptibles de détériorer le milieu et les espèces en présence.
Pour conclure, l’expertise scientifique collective (ESCo, 2016) sur les effets cumulés des retenues « a mis en évidence la nécessité de prendre en compte les temps longs dans l’analyse », certains processus étant « susceptibles de s’exprimer sur plusieurs dizaines d’années », et d’influencer jusqu’aux apports à la mer.
Quelle influence du changement climatique ?
Les projections climatiques sur la Bretagne montrent une hausse moyenne des températures de l’air de 0,8 à 2°C d’ici à 2070, avec plus de jours de forte chaleur, et une augmentation de l’évapotranspiration potentielle (ETP). Si l’augmentation des températures est clairement confirmée par l’ensemble des modèles climatiques, il demeure de grandes incertitudes sur l’évolution des cumuls pluviométriques annuels dans les zones intermédiaires entre Europe du Nord et du Sud (tendances contrastées avec de fortes variabilités) (Portail Drias 2022). Pour autant, les tendances convergent vers des cumuls saisonniers qui tendraient à augmenter en saison de recharge et diminuer en saison d’étiage, avec des risques accrus de pluies intenses (moins efficaces pour la recharge des nappes) et une évolution de l’intensité et de la durée des sécheresses (Julien Boé et al. 2018, Oldrich Rakovec et al., 2022) . Une diminution marquée des débits moyens annuels, estivaux et hivernaux (jusqu’à 20 %) est projetée à horizon 2070-2100, ainsi qu’une baisse de la recharge des nappes (Gildas Dayon et al., 2018, AELB, 2018).
La diminution des débits impactera la capacité de dilution des cours d’eau, qui, couplée à l’augmentation des températures de l’air et de l’eau, exacerbera les phénomènes d’eutrophisation et dégradera la qualité de l’eau stockée. Par ailleurs, la part déjà conséquente de l’eau ‘perdue’ dans ces retenues par évaporation risque d’augmenter, ce qui réduira leur efficacité.
Le remplissage de retenues de substitution par prélèvements hivernaux suppose que la recharge des nappes soit suffisante. Hors, les différentes projections convergent vers un risque de sécheresse pluriannuelle accru affectant tous les réservoirs d’eau naturels. « Les niveaux d’eau du sol et des rivières seront affaiblis, les niveaux des lacs et des nappes souterraines seront bas et pas suffisamment réalimentés l’hiver, ce qui ne sera pas nécessairement compatible avec un remplissage annuel de ces réserves » (M. Reghezza et F. Habets, 2022).
Si certaines retenues peuvent limiter l’intensité de certaines sècheresses* (en réalimentant les cours d’eau en étiage), les sécheresses les plus longues (durée supérieure à 18 mois) et/ou les plus sévères sont accentuées par les retenues qui génèrent un déficit d’eau en rivière (cf. & impacts sur l’environnement). Ainsi, les bassins versants ayant une forte densité de retenues sont aujourd’hui soumis aux mêmes restrictions d’usage que les bassins versants peu fournis, car ces dernières ne permettent pas d’endiguer les effets de grandes périodes de sécheresse. « En Espagne, l’analyse des sécheresses entre 1945 et 2005 a mis en évidence que les épisodes secs les plus sévères et les plus longs avaient lieu sur les bassins les plus régulés par la présence de barrages ». Cela s’explique par le fait « qu’un déficit en eau – c’est‐à‐dire un usage de l’eau supérieur à la ressource – conduit à des dégâts socioéconomiques et génère une pression pour créer de nouveaux stocks d’eau : on augmente alors les réservoirs et les volumes stockés. Mais ce gain de réserves est en fait compensé par une augmentation des usages (augmentation des surfaces irriguées ou croissance démographique) » (F. Habets, 2019 – cf. figure 2)). À noter également qu’en cas de réchauffement très prononcé, l’irrigation ne suffira pas à maintenir la production agricole, il faudra recourir à un ensemble de solutions complémentaires (GIEC 2022).
Ainsi, indépendamment du changement climatique « la consommation humaine d’eau [tous usages confondus] est l’un des mécanismes les plus importants d’intensification de la sécheresse hydrologique et (…) sera probablement un facteur majeur affectant l’intensité et la fréquence de la sécheresse dans les décennies à venir. » (Wada et al., 2013)
*La sécheresse est considérée comme un déficit en eau par rapport à une situation normale : elle peut se traduire par un déficit de précipitations (sécheresse météorologique), un manque d’eau disponible dans le sol (sécheresse édaphique) ou un déficit des débits (sécheresse hydrologique) (Sécheresse, aridité, canicule, Inrae, 2020).
Quels impacts sur la société ?
Les crises de l’eau qui se succèdent et impactent des acteurs de l’eau déjà fragilisés, tendent les rapports sociaux sur certains territoires. Outre les impacts énumérés plus hauts, la disproportion de certaines installations tant en termes de volume stocké que de coûts financier et énergétique liés à leur construction et à leur remplissage, les risques de non remplissage à l’aulne du changement climatique, l’artificialisation exagérée du milieu et l’augmentation in fine des volumes prélevés sont autant de points de tension qui amènent des acteurs à questionner la pertinence économique et environnementale d’un certain nombre de retenues.
La question de la hiérarchisation des usages et de la privatisation de l’eau est également posée avec la création de retenues, financées pour certaines à hauteur de 70 % par de l’argent public, qui privilégient certains propriétaires/usagers face aux autres acteurs et activités à l’échelle d’un bassin versant. « L’acceptabilité des prélèvements, agricoles notamment, dépend de la capacité de la ressource à satisfaire les différents usages. (…)Le besoin d’anticipation et de cohérence, mais aussi et surtout d’un meilleur dialogue pour le partage de ce bien commun qu’est l’eau est de plus en plus criant » (B. Grimonprez, 2019).
Enfin, c’est la question de la mal-adaptation au changement climatique qui se pose. « La tendance à investir dans de nouvelles constructions consiste en effet à fixer (réparer) un dysfonctionnement (ici le manque d’eau), en immobilisant du capital dans une infrastructure, au lieu d’investir pour soutenir la transition vers des pratiques moins gourmandes en eau. (…) Cela retarde la réduction des usages et les transformations systémiques, qui seules peuvent diminuer durablement la vulnérabilité de l’activité ou du territoire. C’est la définition même de la mal-adaptation : le remède pérennise, voire aggrave, le risque qu’il est supposé résoudre » (M. Reghezza et al., 2022).
Un des préalables est de mieux recenser l’existant, tant au niveau de la caractérisation des retenues, que des volumes concernés (stockage) ou des usages associés (prélèvements), dans le cadre d’inventaires coordonnés à l’échelle nationale (cf. étude 2022 du CGEDD relative à la réalisation d’un inventaire national des plans d’eau).
Afin de limiter les impacts des retenues existantes, plusieurs solutions existent et relèvent :
- Des pratiques de gestion : respect des débits réservés pour les retenues en barrage, meilleure gestion des vidanges (volumes et tranches d’eau évacués), limitation des rejets d’espèces invasives, installation de ripisylve, aménagement des berges (pentes) selon les usages, suppression des retenues délaissées, si elles n’ont plus d’usages et ne constituent pas des réserves de biodiversité prioritaires ;
- Des conditions de remplissage : déconnexions des retenues collinaires en étiage (en stoppant leur alimentation par les eaux de ruissellement), mise en place de bras de contournement sur les retenues en cours d’eau, récupération des eaux de drainage.
Si la création de nouvelles retenues, et notamment des retenues de substitution, ne doit pas être exclue par principe, « leur insertion dans un projet plus transversal fait rapidement resurgir les questions relatives à leur dimensionnement, à leur justification économique ou à leur adaptation aux évolutions croisées entre usages et milieux » (Rapport CGEDD 2018). Il existe cependant plusieurs pistes à explorer entre gestion par l’offre et gestion par la demande (B. Grimonprez, 2019) :
- Appliquer un partage de la ressource à l’échelle territoriale avec, en amont des projets de création de retenues, la mise en œuvre de Projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) avec une gouvernance de l’eau décentralisée (pilotage des prélèvements et des infrastructures) et une vraie portée .
- Dans les séquences « Éviter, réduire, compenser », prioriser l’évitement de la construction même des retenues, avec des propositions crédibles visant à baisser au maximum la demande en eau sur l’ensemble des usages.
- Apprécier l’opportunité économique des projets au stade de leur autorisation, en tenant compte des projections climatiques.
- Dans un contexte de raréfaction de la ressource et de transition écologique, exiger de la part des acteurs bénéficiant d’un accès sécurisé à l’eau des contreparties réciproques substantielles (économie, approche agro-écologique), faisant l’objet de contrôle et de sanction en cas de non-respect.
Enfin, concernant leur construction, il est essentiel de s’assurer que les nouveaux ouvrages soient déconnectables du cours d’eau et n’entravent pas la libre circulation des espèces et des sédiments, qu’ils soient collectifs dans la mesure du possible afin de pérenniser les usages et que les prélèvements soient mieux suivis.
Quelles alternatives aux retenues pour le stockage de l’eau ?
Au regard des enjeux, un ensemble d’actions visant à améliorer et préserver les stockages naturels doit être activé simultanément afin d’accroitre notre résilience et celle des milieux naturels face au changement climatique.
Le sol est un réservoir d’eau naturel essentiel et ses capacités de rétention doivent être préservées ou rétablies: mise en place du « zéro artificialisation nette » et desimperméabilisation, amélioration de la qualité des sols (fertilisation organique, maintien de l’activité biologique), prévention de l’érosion, gestion raisonnée du drainage agricole, pratiques agricoles favorisant l’infiltration, développement d’infrastructures paysagères agro-écologiques, recours aux solutions fondées sur la nature, etc. – sont autant de pistes à mobiliser.
Les ressources en eau souterraine représentent des volumes d’eau conséquents, et contribuent à alimenter en eau les rivières. Préserver ces ressources passe par la mise en place d’une plus forte régulation (contrôle) des prélèvements, d’une protection plus efficace de leur qualité, ou encore de la préservation de zones sans prélèvements. Il est également nécessaire d’améliorer la résilience des ressources souterraines existantes en optimisant les prélèvements dans l’espace et dans le temps (De l’Eau pour Demain, BRGM 2022). La recharge maîtrisée des nappes d’eau souterraine est également une technique en cours d’expérimentation en France (G. Picot-Colbeaux et al.,2021).
La réduction de la pression sur la ressource, grâce à une transformation en profondeur des usages et des pratiques, est également un enjeu crucial. Cela nécessite « une très grande sobriété des usages de l’eau, un partage de la ressource équitable, en fonction des priorités décidées collectivement, et une solidarité à l’échelle des territoires » (B. Grimonprez, 2019). La mobilisation de ressources « non conventionnelles » (réutilisation des eaux traitées, utilisation des eaux de pluie…) constitue aussi une réponse intéressante. Parallèlement, il parait nécessaire de déployer de nouveaux outils de gestion de l’eau, comme la modélisation hydro-économique, permettant d’accroitre la résilience face aux changements (climat, démographie) dans les bassins versants soumis à un stress hydrique, et de prioriser les choix de gestion et d’aménagement (Water for tomorrow, BRGM 2021).
Concernant l’agriculture, et au vu du contexte climatique, « l’irrigation et ses infrastructures ne seront socialement acceptables que si elles sont le vecteur d’une véritable transition agroécologique » (B. Grimonprez, 2019). Au-delà d’une optimisation des méthodes et outils d’irrigation pour en assurer une plus grande efficience, il sera nécessaire de définir des priorités d’usage au sein de l’agriculture, « d’engager les transformations systémiques, qui seules peuvent diminuer durablement la vulnérabilité de l’activité ou du territoire. » (M. Reghezza et al., 2022). A ce titre, l’agroécologie, qui contribue notamment à conserver l’eau et revitaliser les sols, est une des pistes majeures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
Enfin, le cycle de l’eau est fortement affecté par le changement climatique (modification de la circulation atmosphérique, et donc de la répartition des précipitations). Il est alors essentiel de s’atteler à la source du dérèglement climatique et d’engager des mesures efficaces d’atténuation des émissions de GES.
Remerciements à N. Carluer (INRAE) et C. Magand (OFB) pour leurs relectures enrichissantes.