Ce projet vise à améliorer la chaîne de modélisation permettant de relier les pratiques agricoles dans les bassins versants alimentant les baies à algues vertes et l’importance de la prolifération algale dans ces baies. L’objectif est de mieux simuler les concentrations et flux d’azote journaliers à l’exutoire des bassins versants selon différents scénarii agricoles testés (TNT2), et de fournir ainsi des données les plus réalistes possibles au modèle de croissance et de dispersion des algues (EcoMARS3D-Ulves), en prenant en compte notamment la dynamique saisonnière et le comportement spécifique de chaque bassin versant. La faisabilité et l’intérêt de ce couplage de modèles a été testé sur un premier site, celui de la Baie de Saint-Brieuc.
Table of Contents
La modélisation permet de représenter un ensemble complexe de phénomènes comme ceux impliqués dans les marées vertes et d’estimer la résultante de leurs effets. Durant le PLAV1 (2010-2016), les huit baies à algues vertes ont fait l’objet de l’un ou l’autre des deux types de modélisation, de façon séparée :
- une modélisation agro-hydrologique avec le modèle TNT2 (ou CASIMOD’N), visant à simuler le lien entre activités agricoles et flux nitrique aux exutoires des bassins versants alimentant les baies.
- une modélisation physicochimique et écologique des dynamiques des populations d’ulves (MARS-Ulves), consistant en la simulation d’une année de référence et des scénarios visant à faire varier le niveau moyen de concentration en nitrate aux exutoires alimentant les baies.
En juin 2017, le Creseb a consulté les acteurs locaux du PLAV2 pour recenser leurs nouvelles attentes en matière de modélisation (actualiser la modélisation grâce aux nouvelles données acquises en matière de pratique agricoles, de qualité de l’eau superficielle et souterraine, prendre en compte l’élargissement de certains territoires, tester de nouveaux scénarios agricoles,… ).
En concertation avec la coordination régionale, le Creseb a réuni les scientifiques concernés pour évoquer les travaux envisageables afin de répondre à ces demandes. Le constat partagé a abouti à l’intérêt d’apporter des améliorations à chacun des 2 modèles et de les coupler pour aboutir, en sortie de modélisation, à des résultats dynamiques tenant compte des aspects pluri-annuels et permettant d’évaluer le risque d’avoir une forte ou une faible prolifération en fonction de tel ou tel scénario d’actions agricoles (au lieu d’une équation assez statique “telle concentration en nitrate = telle quantité de biomasse d’algues).
Au-delà de la prédiction de l’évolution de l’intensité des échouages en fonction de l’évolution des pratiques agricoles et du climat, il est apparu que la manière la plus efficace d’avancer sur le couplage des 2 modèles était de le tester sur une baie en particulier afin de mettre au point et éprouver une méthodologie qui serait ensuite transposable à l’ensemble des baies AV.
Méthodologie
Outils
TNT2, modèle agro-hydrologique (bassin versant)
L’outil de modélisation agro-hydrologique TNT2 (Topography-based Nitrogen Transfert and Transformations) permet de simuler le lien entre activités agricoles et flux de nitrate aux exutoires des bassins versants. Développé par l’INRAE (UMR SAS), il s’agit d’un modèle distribué et maillé, basé sur l’association d’un modèle hydrologique inspiré de TOPMODEL (Beven et Kirkby, 1979) et d’un modèle agronomique STICS de l’INRAE (Brisson et al., 1998). Ses originalités résident principalement (Casal et al., 2019) dans sa capacité à :
- prendre en compte une description fine des pratiques agricoles à l’échelle parcellaire (données issues de différentes enquêtes réalisées auprès des agriculteurs), et donc de simuler des scénarios détaillés d’évolution de ces pratiques, que ce soit dans leur répartition spatio-temporelle, dans la modification des itinéraires techniques, dans la mise en place de structures paysagères (zones humides, haies), dans les changements d’usage des sols.
- prendre en compte les interactions sol-nappe de subsurface et leurs conséquences sur les transferts et transformations d’azote, ce qui le rend particulièrement bien adapté au contexte breton (bassins tempérés sur socle ancien).
- simuler les stockages et la remobilisation de l’azote dans les sols, la biomasse et les nappes, ce qui le rend capable de simuler des périodes de plusieurs dizaines d’années en continu.
Ainsi, TNT2 décrit, au pas de temps journalier et à l’échelle de la maille (≃parcelle), l’organisation des écoulements de l’eau dans le bassin versant, la croissance des plantes en fonction des conditions pédoclimatiques, les transferts et les biotransformations de l’azote dans le sol et le sous-sol. Ainsi, cet outil modélise les fuites d’azote qui percolent sous le sol et circulent par le milieu souterrain jusqu’à la rivière.
Dans le cadre du PLAV1, ce modèle a permis de simuler la période 2000-2010 sur une partie des bassins versants concernés et de proposer, selon divers scénarios, des prédictions sur la période 2011-2027.
Références sur l’outil de modélisation TNT2
EcoMARS3D-Ulves, modèle biogéochimique (eaux littorales)
Les modèles utilisés pour représenter les proliférations d’ulves en Bretagne ont fait l’objet de nombreuses publications, depuis les premières versions développées à partir de 1988 par IFREMER (A.Ménesguen et collaborateurs) pour la baie de Saint-Brieuc jusqu’aux versions les plus récentes développées par le CEVA (T. Perrot et S.Ballu).
L’outil actuel de modélisation écologique EcoMARS3D-Ulves vise à modéliser la prolifération des ulves dans la masse d’eau littorale au regard de différents scénarios de concentrations de nitrate arrivant des bassins versants. Cette modélisation permet de reproduire les caractéristiques physiques d’une baie sur une période donnée. Il permet de tracer l’azote contenu dans les ulves donnant accès à la détermination de la contribution de chaque source de nutriment à la prolifération observée. Il simule également l’impact de scénarios de réduction de nitrate sur l’évolution de la prolifération d’ulves. Cet outil est notamment utilisé pour éclairer les gestionnaires de l’eau (SAGEs en particulier) dans la fixation des objectifs de limitation des concentrations et flux d’azote pour réduire l’eutrophisation des eaux littorales responsable de la prolifération d’algues.
Module écologique EcoMARS
Le modèle écologique EcoMARS, développé et maintenu à jour par Ifremer, repose sur le couplage du modèle hydrodynamique MARS avec un modèle biologique simulant la croissance et la production primaire.
- Le modèle hydrodynamique MARS dispose d’une version tri-dimensionnelle 3D qui permet d’affiner les résultats. La version 2D décrit la composition de la masse d’eau de façon homogène de la surface au fond, alors que la version 3D décompose verticalement la masse d’eau en plusieurs couches et prend en compte les éventuelles variations des vitesses de circulation et des concentrations liées notamment à des différences de salinité. Certaines baies n’ont bénéficié jusqu’à présent que de la modélisation avec la version 2D (La Forêt, La Fresnaye, Douarnenez, Guissény).
- Le module de croissance phytoplanctonique permet de prendre en compte la compétition entre le phytoplancton et les ulves.
Ainsi, le modèle EcoMars reproduit le cycle de l’azote, du phosphore et de la silice et intègre 3 groupes phytoplanctoniques (les diatomées, les dinoflagellés, le pico-nanoplancton) et 2 classes de taille de zooplancton (meso et micro) pour prendre en compte la régulation du stock phytoplanctonique par broutage. Au total, 17 variables d’état sont reliées entre elles par les processus chimiques et biologiques.
Module MARS-Ulves
Au modèle EcoMars, est ajouté le module MARS-Ulves de production d’ulves, compartimenté avec leur biomasse et leur quota d’azote et phosphore, et qui vont interagir avec tout l’écosystème. Le CEVA a apporté un certain nombre d’amélioration de façon à permettre :
- L’introduction d’une spatialisation des dépôts en ulves sur la base des données de suivi cartographiques ;
- La pondération des constantes d’absorption de l’azote et du phosphore pour les ulves, en fonction de la saison ;
- La formulation de la croissance en fonction des facteurs limitants ;
- La prise en compte d’un relargage de flux sédimentaires (N, P) provenant de l’activité sédimentaire,
- Des processus de dessiccation / mortalité en phase émergée pour le compartiment “Ulves”.
Références sur l’outil EcoMARS3D-Ulves
Couplage des 2 modèles “TNT2 – EcoMars3D-Ulves”
Pourquoi ?
Jusqu’à présent, les travaux de modélisation appliqués aux Baies Algues vertes ont été menés séparément avec d’un côté, la modélisation agro-hydrologique des bassins versants et de l’autre, la modélisation écologique des eaux littorales.
Le couplage de TNT2 et EcoMARS3D-Ulves permettrait de relier les pratiques agricoles existantes ou futures dans les bassins versants alimentant les baies à algues vertes et l’importance de la prolifération algale dans ces baies. Ainsi en améliorant cette chaîne de modélisation, le projet a pour but d’apporter des réponses aux questions suivantes :
- La limitation des fuites d’azote tels que fixés dans les objectifs du PLAV permettrait-elle de réduire significativement les biomasses d’ulves produites (en moyenne et en années « extrêmes ») ?
- Comment les variations climatiques interannuelles, qui affectent à la fois les fuites d’azote et les conditions de croissance des ulves, interagissent avec les changements agricoles pour limiter ou favoriser les blooms algaux ?
- Le changement climatique va-t-il modifier ces interactions ?
Comment ?
- En simulant les concentrations et flux d’azote journaliers à l’exutoire des BV selon différents scénarii agricoles testés, à l’aide du modèle TNT2 (agro-hydrologie des bassins versants) ;
- En fournissant ainsi au modèle EcoMars3D-Ulves (bio-physico-chimie du littoral et prolifération des ulves) des chroniques de concentration journalière en nitrate les plus réalistes possibles, prenant en compte la dynamique saisonnière et le comportement spécifique de chaque BV face à des scénarii agricoles crédibles.
Ainsi, ce projet de « couplage » des deux modèles vise à :
- Améliorer la modélisation littorale EcoMars3D – Ulves en disposant, pour les scénarii agricoles testés, de chroniques de concentration journalière de nitrate aux exutoires à la mer, plus réalistes qu’actuellement ;
- Analyser les synergies et antagonismes des variations climatiques sur les flux nitriques et sur la croissance des algues ;
- Déterminer des probabilités d’apparition de situations limitantes en azote en fonction des années climatiques et du niveau moyen de concentration/flux nitrique ;
- Prédire des probabilités de retour à un bon état écologique des masses d’eau.
Les enjeux techniques
Cette modélisation couplée implique un travail conséquent pour la partie TNT2 à partir des travaux existants (2010) :
- optimiser la chaine de mise en œuvre du modèle,
- mettre à jour les bases de données agricoles,
- actualiser les données de débits et concentration en nitrate avec une meilleure modélisation des flux estivaux et une extrapolation jusqu’aux exutoires à la mer et un élargissement à l’ensemble des bassins versants se jetant dans la baie étudiée,
- tester différents scénarii agricoles,
- modéliser les effets probables du changement climatique.
Pour la partie MARS-ULVE, les enjeux sont :
- la prise en compte des stocks automnaux-hivernaux de l’année n-1 lors de la modélisation des biomasses produites l’année n
- le développement d’une méthode pour traduire les quantités de biomasse modélisées en surfaces d’échouage (critère DCE) afin de valider les résultats en comparaison avec les données mesurées lors des survols aériens.
Compte tenu des moyens conséquents qu’il faudrait mobiliser pour mener ce travail sur l’ensemble des baies à algues vertes, le choix a été fait de tester d’abord la faisabilité et l’intérêt de ce couplage de modèles sur un seul site, celui de la Baie de Saint-Brieuc.
L’État prévoit d’élargir cette étude de couplage et modélisation aux sept autres baies algues vertes entre 2021 et 2024, afin de préciser les concentrations et les flux à atteindre pour réduire significativement la prolifération algale.
Application en Baie de St Brieuc
Les scénarios d’abattement de flux d’azote testés
Trois scénarios de changements de pratiques agricoles et d’occupation du sol ont été testés sur les bassins versants de la baie de Saint-Brieuc : le Gouessant, le Gouet et le groupe « Anse d’Yffiniac ». Les scénarios étudiés sont les suivants :
- scénario “Pratiques Agricoles Passées” (PAP) : Et si l’on avait gardé les pratiques agricoles de la fin des années 90, quelles fuites d’azote aurions-nous observées sur la décennie 2008-2018 ?
- scénario “Baisses de la Surface Cultivée” (BSC) : scénario de remplacement progressif des surfaces agricoles en rotation culturale par un couvert maximisant le piégeage d’azote (prairie fauchée, non pâturée et non fertilisée), en partant des zones de bas de versant ;
- scénario “agriculture à Basses Fuites d’azote N” (BFN) : scénario de mise en œuvre de pratiques agricoles préservant la production globale tout en limitant au maximum les fuites d’azote.
Les bassins versants retenus (Gouessant, le Gouet et groupe « Anse d’Yffiniac ») sont, au niveau agricole, assez représentatifs des bassins versants bretons, avec une diversité allant de zones à forte dominante laitière et d’autres spécialisées en élevage hors sol. On y trouve aussi une assez forte diversité de pluviosité et de types de sols, même s’ils ne sauraient recouvrir à eux seuls l’ensemble des types de situations rencontrées dans la région. On peut donc considérer que les résultats obtenus sont transférables aux autres bassins versants bretons, sinon dans les valeurs numériques, du moins dans leurs grandes tendances.
Le scénario de changement climatique
La projection climatique choisie est celle du modèle climatique développé par le Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM2014-Aladin), reposant sur le modèle atmosphérique « ArpègeClimat » qui est une version du modèle de prévision Météo-France.
Sur le portail DRIAS, les données du climat futur sont produites pour les différents scénarios « Representative Concentration Pathway » (RCP) selon les émissions de gaz à effet de serre (GES). Quatre scénarios d’évolutions climatiques RCP sont ainsi définis dans le 5ème rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : RCP 2.6, RCP 4.5, RCP 6.0 et RCP 8.5. Le chiffre correspond au forçage radiatif total, équivalent en W/m², pour l’année 2100 par rapport à l’année 1750. Le scénario le plus pessimiste a été retenu ici, à savoir le RCP 8.5 qui se caractérise par une augmentation des émissions de GES jusqu’à la fin du siècle sans atténuation. Il a été testé pour la période 2040-2070 avec TNT2 et sur son impact sur la température de l’eau de mer avec Ecomars3D-Ulves.
Principales conclusions
Le couplage du modèle TNT2 avec le modèle Eco-MARS3D-Ulves permet de mieux préciser l’impact des changements sur le bassin versant simulés sur les marées vertes, et de mieux apprécier les baisses de flux nécessaires à l’atteinte des objectifs de qualité des eaux littorales. Cette étude apporte des conclusions et des pistes intéressantes :
- Les baisses de flux constatées depuis les années 2000 ont permis de passer d’un régime où l’azote n’était jamais limitant (donc des marées vertes présentes chaque année à un niveau important) à un régime plus variable où la limitation d’azote peut s’exprimer certaines années et réduire fortement le phénomène.
- Il faudra des réductions de flux supplémentaires significatives pour limiter les marées vertes les années où les conditions climatiques seront très favorables au maintien des stocks hivernaux et au démarrage printanier précoce.
- Pour avoir l’assurance de ne plus connaître ces années de très fortes proliférations, on peut faire l’hypothèse qu’il faut franchir un palier supplémentaire sur la limitation des flux N, pour passer à un régime où les stocks automnaux d’algues seront suffisamment faibles pour empêcher toute reprise précoce, ou bien intervenir pour limiter fortement ces stocks automnaux ou les stocks de fin hiver.
Ces résultats obtenus dans le cas particulier de la Baie de St-Brieuc ont un caractère générique en ce qui concerne les grandes tendances et les conclusions principales. Toutefois, les valeurs absolues d’efficacité des scénarios et de temps de réaction ne sont pas généralisables, et nécessiteraient d’être déterminées au cas par cas pour les différents bassins versants des baies à marées vertes, tout comme les impacts sur les marées vertes de chaque baie.
Livrables
Productions
L’ensemble de la méthode et des résultats du projet est détaillé dans le rapport de synthèse :
Le volet concernant TNT2 a fait l’objet d’une publication scientifique :
Temps d’échanges autour du projet
- Le projet a fait l’objet de réunions du comité de pilotage coordonnées par le Creseb en avril 2019, septembre 2020 et mars 2021, réunissant l’équipe scientifique INRAE-SCHEME-CEVA en charge du projet, les porteurs régionaux du PLAV2 et les animateurs du territoire de la Baie de St Brieuc.
- Une restitution finale des résultats a eu lieu en octobre 2024 auprès du Comité de Baie de Saint-Brieuc.
- Au cours du projet, différents temps d’échanges organisés par le Creseb ont eu lieu dans le cadre de l’appui scientifique au PLAV :
Pour aller plus loin
Dès 2016, le Creseb a été sollicité par l’Etat et la Région Bretagne afin d’organiser l’appui scientifique dans le cadre du second plan de lutte contre la prolifération les algues vertes (PLAV2).
Le Creseb accompagne des projets de recherche sur cette thématique, organise régulièrement des journées d’échanges avec les scientifiques et les acteurs de la gestion intégrée de l’eau. De nombreuses ressources documentaires sont également référencées sur son site.