Le projet DEMOCLIM est la première pierre d’une réflexion engagée en Bretagne et portée par le Creseb pour étudier les impacts du changement climatique sur la ressource en eau et contribuer à définir un partage durable de cette ressource. Il s’agit notamment de réaliser un guide méthodologique à destination des gestionnaires de l’eau qui présente les différentes étapes d’élaboration d’un diagnostic climatique territorial (DCT). Ce DCT doit permettre de mieux caractériser la disponibilité future de la ressource en eau à des horizons de 25 à 100 ans à l’échelle des différents territoires bretons. Ce guide a été élaboré suite à un stage de Master réalisé à l’Université de Rennes 2. Il peut être utilisé pour réaliser le volet Climat des études H.M.U.C. prévues dans le SDAGE Loire Bretagne 2016-2021.
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La question de la gestion quantitative de l’eau émerge depuis quelques années, notamment au niveau des gestionnaires bretons en eau potable, inquiets de connaitre l’évolution de la quantité d’eau disponible au regard du changement climatique.
Dans un contexte de changement climatique, les simulations sur le climat futur comme la variabilité interannuelle passée posent question vis-à-vis de la disponibilité de la ressource et des évolutions à prévoir, jusque dans les enjeux d’aménagement du territoire au niveau des bassins versants.
Cependant, devant la diversité des situations à prendre en compte en termes de scénarios, modèles et indices climatiques, les acteurs-décideurs en matière de gestion de l’eau, d’aménagement ou développement territorial paraissent souvent démunis et sont en attente d’éclairages pour élaborer leurs stratégies d’adaptation.
Proposer des indicateurs climatiques pertinents
Le projet DEMOCLIM s’intègre dans une démarche régionale réunissant le Creseb, des gestionnaires de la ressource et des partenaires scientifiques, d’étude des impacts du changement climatique sur les ressources en eau à des horizons 25 – 100 ans sur la région Bretagne.
Ce projet porte sur l’analyse de la ressource en eau d’un point de vue climatologique, c’est-à-dire sur sa disponibilité en fonction de l’évolution des précipitations et des autres paramètres climatiques élémentaires (température, rayonnement solaire, vent) impactant l’évapotranspiration et le bilan hydrique.
L’objectif du projet est d’analyser les données passées du climat, ainsi que de modéliser l’évolution future de la ressource en eau pour proposer des indicateurs climatiques pertinents aux gestionnaires. Ces indicateurs permettront d’évaluer les effets du changement climatique au niveau de leurs bassins versants et de les aider à mettre en place une stratégie d’adaptation.
Le projet DEMOCLIM s’est déroulé en deux phases :
- La proposition d’une méthode d’analyse des données de pluviométrie et des indicateurs pertinents, à partir d’une approche exploratoire sur 4 bassins versants de la région Bretagne (l’Odet, le Blavet, la Rance et la Seiche).
- La réalisation d’un guide méthodologique afin d’aider les gestionnaires de l’eau à réaliser des études intégratrices de la dimension climatique, telles que les études Hydrologie Milieux Usages Climat (HMUC).
Mener une étude climatique prospective
Une première approche exploratoire a été réalisée en 2020 par Louis Amiot dans le cadre d’un stage de Master 2 (Géographie, Aménagement Environnement, Développement Parcours Environnement, Territoires, Acteurs) à l’Université de Rennes 2, co-encadré par V. Dubreuil (Univ. Rennes 2, LETG), F. Baraer (Météo France) et J. Launay (Creseb).
Cette approche a permis de dresser le tableau du climat breton actuel et de son évolution, et a montré la faisabilité de la réalisation d’un démonstrateur test de l’étude du changement climatique sur 4 bassins versants de la région Bretagne, représentatifs de la diversité climatique du territoire. Les résultats ont révélé l’intérêt des données de références produites par Météo-France (séries historiques homogénéisées) et les tendances, parfois contradictoires, des scénarios et des modèles climatiques issus du portail DRIAS. Des incertitudes demeurent néanmoins sur les épisodes futurs de faible/forte intensité ayant un impact sur la gestion de l’eau lors des épisodes de sécheresse/crue.
Ce premier travail exploratoire rend compte de l’intérêt mais aussi de toute la difficulté de mener une étude climatique prospective.
Une diversité de la répartition des pluies en Bretagne
Cette étude précise la diversité des climats bretons, connue pour son contraste entre l’Est et l’Ouest en termes de pluviométrie. Les cumuls annuels de pluie sont généralement deux fois plus élevés sur l’ouest du Massif armoricain que sur le bassin rennais. L’apport de ce cumul annuel provient majoritairement des jours de pluie forte. (P > 10 mm) qui représentent toujours au moins 40 % (et jusqu’à 70 %) du cumul annuel. La différence entre l’Est et l’Ouest se crée principalement sur ces jours de pluie dépassant les 10 mm d’apport. Le cumul des jours de forte pluie représente un paramètre important dont l’évolution doit être suivie puisqu’une évolution de quelques jours suffit à créer une différence importante en termes d’apport pluviométrique. Pour préciser, ce paramètre doit être approché au pas de temps saisonnier, les jours de forte pluie sont concentrés en saison de recharge.
Une augmentation des cumuls de précipitation sur la période passée …
Les tendances historiques d’évolution des cumuls de précipitation sont à la hausse à échelle annuelle sur l’ensemble de la Bretagne. Cette hausse est de plus de 20 % sur le golfe du Morbihan et l’aval de la Vilaine. Ailleurs, la hausse est située autour de + 10 %. Cette hausse se traduit à l’année par une augmentation du nombre de jours de pluie. Le zoom à échelle mensuelle rend compte de la disparité des tendances selon la période de l’année :
- Une baisse de plus de 10 % du cumul mensuel est observée en mars et près de 10 % en mai.
- Hausse de plus de 10 % pour les quatre stations sur les mois d’été. Cette hausse se traduit par une intensification des pluies. C’est-à-dire que le nombre de jours de forte pluie augmente plus vite que les faibles pluies.
- Tendance à la hausse du cumul en avril, octobre, novembre et décembre.
… qui cache un risque de sècheresse accru
Les évolutions du cumul observées masquent une tendance à la hausse du risque de sécheresse sur la Bretagne. Il faut prendre en compte les besoins en eau du sol à travers l’évapotranspiration potentielle (ETP) afin de rendre compte de cette évolution. L’ETP dépend en partie des températures, celles-ci ont augmenté de près de 1 °C depuis 1951 avec un rythme de + 0,3 °C / décennies depuis les années 80. Cette hausse de température entraîne aussi une hausse de l’ETP de plus de 10 % principalement sur les mois d’été.
Malgré la hausse des cumuls de précipitations notamment sur les mois d’été, le risque de sécheresse tend à augmenter, principalement à l’Est Bretagne. À Rennes, depuis la fin de la décennie 1980, il n’y a pas d’années sans mois « secs » d’après le bilan hydrique. Cette situation est également observable à Dinard, mais pas sur les stations de l’Ouest qui semblent davantage préservées.
Dans le même sens, le déficit d’évapotranspiration (qui sert à quantifier les sécheresses) tend lui aussi à augmenter. Cette hausse est de l’ordre de 20 % sur le déficit annuel depuis 1980.
Des incertitudes sur les modélisations du climat futur
Les résultats de cette étude mettent également en évidence de grandes incertitudes sur l’évolution future des cumuls pluviométriques. L’usage de deux modèles (CNRM2014 – ALADIN et IPSL2014 – WRF) a tout de même permis d’identifier une tendance convergente concernant l’évolution des cumuls saisonniers. Ils tendraient à augmenter en saison de recharge et diminuer en saison d’étiage. L’amplitude saisonnière devrait donc davantage s’amplifier avec les risques correspondant à chaque saison : le risque d’inondation pour la saison de recharge et le risque de sécheresse pour la saison d’étiage. Les deux modèles ont aussi une reproduction différente de la disparité régionale. Le modèle IPSL semble reproduire plus correctement ces disparités avec une incertitude sur les stations littorales. Globalement, les stations littorales sont marquées par des biais plus importants.
Concernant l’évolution du risque de sécheresse, plusieurs approches ont été testées afin de définir une tendance. Le risque de sécheresse devrait continuer d’augmenter au cours du siècle, avec une saison de recharge qui resterait peu impactée. Cependant la quantification précise de l’évolution de ce phénomène en fonction des scénarios et de l’horizon considéré reste incertaine. Les résultats concernant l’évolution future du climat méritent d’être approfondis afin de limiter les approximations.
Mise à jour des données
Afin de conforter et compléter les résultats obtenus en 2020 et de répondre à certaines limites rencontrées lors de l’approche exploratoire menée en 2020, les jeux de données utilisées ont été mis à jour. Ce travail a également permis de :
- Tester les nouvelles simulations Drias d’octobre 2020 (vs 2014 dans l’approche exploratoire de 2020) ;
- Compléter les analyses avec l’année 2020 et calculer des normales sur 1991-2020 ( vs 1991-2019 dans l’approche exploratoire de 2020) ;
- Préciser la répartition des cumuls et tendances d’évolution à échelle régionale (analyses réalisées sur 67 stations bretonnes vs 14 stations dans l’approche exploratoire de 2020);
- Vérifier la significativité des tendances avec les modèles CNRM (ALADIN 63) et IPSL (WRF381P).
Proposer un outil de suivi du climat local
Suite à cette approche exploratoire, le comité de pilotage a jugé nécessaire de réaliser un guide méthodologique permettant aux gestionnaires en charge d’études Hydrologie Milieux Usages Climat (HMUC), de mobiliser les méthodes et les résultats acquis lors de cette première étude et de proposer une liste d’indicateurs clés pour l’analyse du volet Climat dans le cadre de la gestion de l’eau et du changement climatique.
Ce guide méthodologique déroule toutes les étapes de la mise en place d’un diagnostic climatique territorial : la sélection des stations météorologiques, la sélection des paramètres et des indicateurs, l’analyse des séries historiques de données puis l’évolution du climat futur. L’objectif est de donner des clés aux gestionnaires pour mener des études climatiques fines, cohérentes et conscientes des incertitudes du climat futur.
Ce guide méthodologique a été réalisé au LETG-Rennes – Université de Rennes 2 (Climat et Occupation du Sol par Télédétection) en partenariat avec le Creseb, Météo-France et le Conseil régional de Bretagne. Le suivi scientifique a été assuré par Vincent Dubreuil (professeur de Géographie – LETG-Rennes-COSTEL UMR 6554 CNRS, Rennes) avec la collaboration de Franck Baraer (responsable du service études et climatologie – Météo France, Rennes), Josette Launay et Elodie Bardon (chargées de mission transfert scientifique – Creseb) et Florence Massa (coordinatrice des études APC, Région Bretagne).
Un diagnostic territorial climatique en 3 étapes
Le guide méthodologique pour la mise en place du diagnostic climatique territorial accompagne les gestionnaires dans l’analyse fine de la pluviométrie sur la période historique d’après les données passées, et la période future d’après les données modélisées. Il se déroule en 3 phases :
- Acquisition des données : les séries de données climatiques doivent être bien réparties sur le territoire (3/4 stations de pluviométrie sur un territoire de 2 000 km²), elles doivent être homogénéisées et d’au moins 50 ans
- Analyse des données passées : celle-ci permet d’abord de définir les conditions climatiques actuelles. L’étude se concentre sur les cumuls de pluies et jours de pluie qui peuvent être décomposés selon l’intensité du cumul afin de rendre compte de la fréquence et répartition des fortes et faibles pluies. Ensuite, le risque de sécheresse et d’inondation passé peut être étudié.
- Analyse des données futures des modèles : l’analyse des données modélisées passe d’abord par la correction des biais des modèles. Pour cela, il faut confronter les données des sorties de modèle aux données observées sur la période de référence des modèles (1976-2005). Une fois les données corrigées, l’analyse des tendances futures est possible. Cela se déroule en comparant les données d’au moins deux modèles à horizon moyen (2031-2060) et horizon lointain (2071-2100), selon différents scénarios d’évolution des émissions de gaz à effet de serre (scénarios RCP du GIEC).
19 fiches méthodologiques sont associées au guide afin de préciser certaines notions climatiques ainsi que certains indicateurs : répondre aux questionnements autour de la série de données, aider à l’utilisation des indicateurs climatiques, prendre en compte les risques climatiques et étudier les tendances climatiques.
Temps d’échange autour du projet DEMOCLIM
Ce projet a été présenté le 15 juin 2021 dans le cadre d’un cycle de webinaire consacré à l’Appui à la mise en œuvre des analyses H.M.U.C dans les territoires de SAGE.
Documents de synthèse et de contexte disponibles
Depuis 2016, le Creseb est interpellé sur la question de la gestion quantitative de la ressource en eau en lien avec le changement climatique.
Le Creseb accompagne des projets de recherche sur cette thématique, organise régulièrement des journées d’échanges avec les scientifiques et les acteurs de la gestion intégrée de l’eau. De nombreuses ressources documentaires sont également référencées sur son site.