Dans le sillage d’un projet de recherche-action sur les impacts socio-économiques des changements de système en agriculture (ISECA) conduit sur le Blavet Morbihannais, le Creseb a accompagné le projet de transfert ISECA2 visant à traduire les résultats du projet ISECA dans des fiches opérationnelles. Les 12 fiches produites détaillent les étapes d’une transition vers des systèmes plus autonomes et économes en intrants, pour les systèmes laitiers et en grandes cultures ; elles proposent en outre une évaluation des impacts socio-économiques de ces transitions, démontrant que ces dernières sont favorables à l’économie agricole locale et régionale.
Table of Contents
- La méthode du diagnostic agraire appliquée au Blavet Morbihannais
- Les leviers et les étapes de la transition vers des systèmes autonomes et économes en intrants
- Évaluation socio-économique des impacts des transitions
- Évaluation environnementale des impacts des transitions
- Des perspectives d’actions pour les bassins versants et la Région Bretagne
- Pour aller plus loin
Le projet Impacts Socio-Economiques des Changements de système en Agriculture (ISECA) (2014-2019) sur le Blavet Morbihannais a démontré que les transitions vers des systèmes de production favorables à l’environnement s’accompagnent d’un maintien de l’emploi et des revenus agricoles sur les territoires, couplé à une meilleure résilience des exploitations face aux variations de prix. Afin de faciliter l’appropriation des résultats et leur utilisation dans les territoires, l’équipe du projet ISECA a produit 12 fiches à destination des acteurs des bassins versants et des conseillers agricoles. Ces fiches mettent en avant la méthodologie originale déployée dans le projet et apportent des arguments socio-économiques en faveur des actions agricoles sur les bassins versants.
Détails des 12 fiches disponibles
Auteurs : Maéva BOUSSES, Sophie DEVIENNE, Nadège GARAMBOIS et Françoise VERTES, avec la collaboration de la Région Bretagne, du Creseb et du Syndicat de la Vallée du Blavet.
La méthode du diagnostic agraire appliquée au Blavet Morbihannais
Le diagnostic agraire a pour objectif de comprendre la situation actuelle et les perspectives d’évolution de l’agriculture d’une région, en identifiant les problèmes que pose le développement en cours. Il vise à repérer et expliquer la diversité des systèmes de production et à en analyser le fonctionnement : il s’agit de comprendre ce que font les agriculteurs, comment et pourquoi, et d’identifier leurs problèmes, afin d’être à même de proposer des pistes de développement adaptées.
- Délimiter et caractériser la région d’étude : comprendre les conditions de milieu dans lesquelles travaillent les agriculteurs
- Décrire l’évolution de l’agriculture de la région depuis les années 1950 : comprendre pourquoi et comment les systèmes de production ont évolué et construire une typologie des systèmes de production actuels
- Analyser le fonctionnement technique et les performances économiques des systèmes de production identifiés
La zone étudiée dans le projet ISECA s’étend sur une partie du bassin versant du Blavet, côté morbihannais, et présente les caractéristiques suivantes :
- un climat océanique. Des précipitations importantes, un faible déficit hydrique et des températures douces toute l’année ;
- un paysage de plateaux disséqués par un réseau hydrographique plus ou moins dense qui dessine des interfluves étroits à larges. Un interfluve désigne l’étendue de terrain entre deux fonds de vallée, composée de deux versants, séparés par une surface plane plus ou moins large ;
- une région qui compte un peu plus de 700 exploitations, avec des productions assez diversifiées : environ le tiers des exploitations ont des vaches laitières, 20% ont des porcs, 15% ont des volailles et 25% sont spécialisées en grandes cultures (RGA 2020).
C’est sur ce territoire d’étude que l’évolution des systèmes de production agricoles a été étudiée, depuis les années 1950 jusqu’à aujourd’hui. Cette analyse permet de proposer une typologie des systèmes de production agricoles actuels de la région (basée sur un travail de terrain réalisé entre 2014 et 2017).
Les leviers et les étapes de la transition vers des systèmes autonomes et économes en intrants
Après la phase de diagnostic agraire, l’étude s’est attachée à étudier les leviers de la transition de certains systèmes présents sur le territoire vers des systèmes autonomes et économes en intrants. Les étapes de ces transitions ont également été détaillées.
Les leviers présentés sont tirés des enquêtes de terrain : ils sont basés sur des pratiques effectivement mises en œuvre par des agriculteurs de la région ayant déjà effectué ce type de transition.
Dans chaque cas, la mise en œuvre de ces transitions poursuit des objectifs multiples, en particulier :
- préserver le revenu et le rendre plus résilient face à l’évolution des prix ;
- préserver la qualité de l’eau et des sols.
L’intérêt économique et environnemental de ces transitions a été évalué (voir paragraphes suivants).
Systèmes en grandes cultures
Une transition vers des systèmes plus économes en intrants, s’appuyant sur la réduction systémique de l’utilisation d’engrais et de pesticides, a été envisagée pour certains systèmes spécialisés en grandes cultures. Ces systèmes sont très présents dans la région, surtout sur schiste (voir fiche n°1), ils combinent céréales et cultures à forte valeur ajoutée : pomme de terre (plant ou consommation) et légumes.
Dans le cas des systèmes en grandes cultures, la logique du passage à un système économe en intrants s’appuie sur plusieurs leviers :
- introduction de nouvelles espèces dans l’assolement ;
- optimisation de la rotation ;
- recours à des moyens de lutte mécanique contre les adventices.
La mise en œuvre de ces leviers implique une modification des itinéraires techniques et la réduction systémique de l’utilisation d’intrants. La transition conduit à une moindre dépendance aux achats extérieurs, et une plus grande robustesse face à une évolution défavorable des prix.
Systèmes laitiers
Dans un contexte défavorable d’évolution des prix (voir fiche n°1), certains systèmes spécialisés en élevage bovin laitier se trouvent fragilisés. Ils se caractérisent notamment par :
- une alimentation fortement basée sur le maïs fourrage, les concentrés et les tourteaux ;
- des agrandissements et un accroissement continu de la production par actif pour tenter de maintenir le revenu.
Pour ces systèmes bovins laitiers, une transition vers des systèmes herbagers a été étudiée, selon une logique similaire à celle observée dans les systèmes grandes cultures :
- réduction systémique des coûts de production (aliments du bétail, intrants sur les cultures…) ;
- réduction de l’utilisation des intrants de synthèse.
La transition s’appuie ici sur les leviers suivants :
- augmentation de la part de pâturage dans l’alimentation du troupeau ;
- modération des objectifs de rendement laitier ;
- augmentation de la part des prairies dans l’assolement ;
- allongement des rotations et modification des itinéraires techniques.
La mise en œuvre de ces leviers engendre une réduction généralisée des coûts alimentaires du troupeau et des consommations d’intrants. Ainsi, si la transition conduit à une modération de la production, elle s’accompagne d’une réduction drastique des coûts. Il en résulte une stabilisation voire une augmentation du revenu, et une plus grande robustesse face à une évolution défavorable des prix.
Évaluation socio-économique des impacts des transitions
Les impacts économiques de la transition vers des systèmes autonomes et économes en intrants ont été évalués à l’échelle des systèmes de production. Pour les systèmes laitiers, les impacts économiques ont également été évalués sur le temps long, à l’échelle des systèmes de production et à l’échelle de la Région Bretagne.
Impacts économiques de la transition à l’échelle des systèmes de production
Les performances économiques sont évaluées en lien avec le fonctionnement technique du système de production. Elles sont calculées pour une année moyenne, en lissant la variabilité interannuelle des rendements et des prix.
Les performances économiques de systèmes sont évaluées selon deux indicateurs principaux :
- la valeur ajoutée nette, qui mesure la richesse créée par le système de production. La valeur ajoutée par actif, en prenant en compte l’ensemble de l’équipe de travail, permet de comparer l’efficacité économique des systèmes de production ;
- le revenu agricole, qui permet d’estimer la viabilité d’un système de production. On comparera le revenu par actif familial des différents systèmes.
Les effets sur la valeur ajoutée en systèmes grandes cultures :
- produit brut par culture identique entre système initial et système économe (mêmes rendements) ;
- réduction de la part des consommations intermédiaires grâce aux économies d’intrants réalisées ;
- valeur ajoutée brute (VAB) légèrement supérieure en système économe.
Les effets sur la valeur ajoutée en système laitiers :
- modération du produit brut : réduction de la production de lait par vache et arrêt des cultures de vente ;
- réduction systémique des coûts de production : consommations intermédiaires et consommations de capital fixe ;
- augmentation de la valeur ajoutée nette par hectare, sans forcément bénéficier d’un prix du lait supérieur.
Les fiches présentent aussi les résultats sur les revenus.
Évaluation sur le temps long du passage à des systèmes laitiers herbagers
Le projet ISECA propose également une approche originale à travers l’évaluation sur 15 ans (2015-2029) du passage à des systèmes bovins laitiers en systèmes herbagers économes :
- pour les agriculteurs : évaluation des effets sur le revenu agricole et le devenir des exploitations ;
- à l’échelle de la Bretagne : évaluation de l’impact sur l’économie et l’emploi agricoles bretons.
L’évaluation est restreinte aux élevages bovins laitiers sur schiste (voir fiche n°1), en se concentrant sur les types d’exploitations identifiés comme les plus fragiles aujourd’hui ou dans les années à venir. Cela concerne 17 exploitations de la région étudiée, soit 22% des exploitations bovin lait avec un troupeau de moins de 65 vaches du Blavet morbihannais sur schiste.
Impacts économiques sur le temps long à l’échelle du système de production
Pour évaluer l’impact du passage à des systèmes herbagers économes sur le temps long, cette trajectoire est comparée à des trajectoires témoins, adaptées à chaque cas :
- trajectoire témoin d’agrandissement basée sur l’hypothèse d’une poursuite du développement agricole à l’œuvre ces dernières décennies (cf. fiche diagnostic) uniquement pour les exploitations qui en ont les moyens ;
- trajectoire témoin statu quo, sans agrandissement ni modification du fonctionnement technique, qui se solde parfois par l’arrêt de l’exploitation.
Bilan pour les éleveurs, grâce au passage en système herbager :
- maintien du revenu, de la valeur ajoutée et des emplois agricoles, le plus souvent sans agrandissement ;
- maintien et transmission facilités des exploitations agricoles, notamment les plus petites exploitations qui risqueraient sinon de disparaître.
Impacts économiques sur le temps long à l’échelle de la Région Bretagne
Afin d’envisager les effets du passage à des systèmes laitiers herbagers sur l’économie bretonne, le travail a porté sur une échelle plus ample que celle de chaque système pris isolément, en combinant les trajectoires d’évolution des 17 exploitations initialement retenues. Ainsi deux scénarios globaux sont envisagés :
- un avec passage en système herbager économe de toutes les exploitations ;
- un qui combine les trajectoires témoins.
Le raisonnement se fait à surface constante en faisant l’hypothèse que les terres cédées du fait de l’arrêt d’activité d’une partie des exploitations sont reprises par les autres exploitations de l’échantillon qui ont les moyens de poursuivre leur activité.
Bilan pour l’emploi agricole en Bretagne : des systèmes herbagers contribuant au maintien de deux fois plus d’emplois agricoles pour une même surface agricole, à l’horizon 2029.
Pour évaluer l’effet du passage en système herbager sur l’économie bretonne, sont pris en compte les effets économiques sur les secteurs amont et aval en Bretagne.
Bilan pour l’économie bretonne : après une brève période de rodage, le passage en système herbager contribue plus largement à la croissance économique en Bretagne, tous secteurs d’activités confondus.
Évaluation environnementale des impacts des transitions
L’évaluation environnementale du passage à des systèmes autonomes et économes en intrants a essentiellement porté sur les flux d’azote, mais également sur le stockage de carbone et la qualité des sols.
Dans cette étude, des modélisations de flux d’azote ont été conduites à différentes échelles.
- À l’échelle de la parcelle le modèle SYST’N a été utilisé pour estimer la variation des principaux flux d’azote, notamment les émissions de nitrate et d’ammoniac, lors de la transition vers des systèmes plus économes en intrants.
- À l’échelle du bassin versant du Blavet le modèle hydrologique Sénèque a été utilisé pour estimer les flux de nitrate à l’exutoire, à partir des estimations de lixiviation sous parcelle, en comparant un scénario témoin à un scénario prévoyant la transition des systèmes et l’optimisation des pratiques sur l’ensemble de la surface agricole du bassin.
Les effets sur les teneurs en carbone et la qualité des sols n’ont pas été évalués spécifiquement dans cette étude. Les résultats s’appuient sur d’autres études récentes : étude INRAE 4p1000 et projet ANR Mosaic.
Compte tenu des méthodes et des données utilisées, les évaluations présentées indiquent des tendances et des ordres de grandeur, à manipuler avec précaution. Elles témoignent toutefois, malgré des méthodes de calculs différentes, d’un effet positif du passage à des systèmes plus herbagers et/ou plus économes en intrants sur l’environnement, avec en particulier une tendance à la réduction des émissions d’azote aux échelles des parcelles, des exploitations et du bassin-versant. De manière plus générale, l’étude conclut que la combinaison et la mise en œuvre de l’ensemble des leviers identifiés permettraient de réduire significativement et durablement la teneur en nitrate et en produits phytosanitaires de l’eau à l’exutoire du bassin versant.
Des perspectives d’actions pour les bassins versants et la Région Bretagne
Au final, le projet ISECA permet de dégager des perspectives d’actions pour les bassins versants et la Région Bretagne. En effet si les transitions étudiées sont bel et bien à l’œuvre dans une partie des exploitations du territoire d’étude, leur déploiement plus général nécessite un accompagnement à plusieurs niveaux :
- former les agriculteurs aux nouvelles techniques et aux nouveaux savoir-faire, à travers le conseil individuel mais surtout dans les travaux de groupe ;
- aménager le parcellaire pour faciliter le pâturage en systèmes laitiers ;
- accompagner la transmission des systèmes autonomes et économes, enjeu majeur en particulier pour les systèmes laitiers ;
- soutenir l’investissement dans du matériel spécifique, en individuel ou en CUMA, pour le désherbage mécanique et la conduite des cultures de diversification (chanvre et sarrasin) ;
- appuyer le développement de filières locales (chanvre, sarrasin) pour soutenir la diversification des assolements.
L’étude souligne que les territoires de bassins versants et la collectivité régionale ont, chacun à leur niveau, un rôle à jouer pour actionner ces différents leviers de la transition.
Pour aller plus loin
Dès 2011, la question relative à l’approche socio-économique du changement de pratiques et de systèmes agricoles a été jugée prioritaire par les membres du Creseb.
Depuis, le Creseb accompagne des projets de recherche sur cette thématique, organise régulièrement des journées d’échanges avec les scientifiques et les acteurs de la gestion intégrée de l’eau. De nombreuses ressources documentaires sont également référencées sur son site.