Repenser la gestion des ressources en eau à l’échelle des territoires face à l’accroissement des pressions climatiques et anthropiques : une approche à l’interface entre science naturelles et sciences sociales, en interaction étroite avec les territoires
Co-porté par les laboratoires Géoscience Rennes (Université Rennes 1) et ESO-Rennes (Université Rennes 2), le projet « Rivières 2070 » s’intéresse tout particulièrement à la gestion des ressources en eau à l’échelle des territoires, dans un contexte d’accroissement des pressions climatiques et anthropiques. A l’heure actuelle, si les tensions dues aux épisodes récurrents de stress hydrique impliquent généralement des prises de décisions rapides, pour gérer l’urgence ou la crise, rarement n’est réellement pris le temps de bâtir une vision systémique et transversale des enjeux de l’eau, afin de préparer au mieux la résilience hydrique de demain pour les territoires. Dans ce but, l’ambition du projet « Rivières 2070 » est d’intégrer les enjeux de l’eau au sein d’une approche territoriale plus large (eau, agriculture, urbanisme…), afin d’aider à réduire les incertitudes concernant l’avenir (impacts des pressions anthropiques et climatiques).
Présentant de nombreux enjeux (économiques, sanitaires, environnementaux…), l’eau se trouve aujourd’hui menacée par de nombreuses pressions d’origine anthropique (pollutions, changements d’occupation des sols, accroissement des usages…). A cela s’ajoute l’inquiétude que les problèmes observés aujourd’hui soient accentués par le changement climatique qui induit déjà un allongement des périodes sans précipitations, et donc une augmentation de la fréquence et l’intensité des sècheresses, mettant sous pression les systèmes d’alimentation en eau et les efforts de préservation des écosystèmes.
En France, les dernières décennies ont été marquées par une volonté affichée par les pouvoirs publics en faveur d’une gestion dite « intégrée » de l’eau. Ce mode de gestion vise théoriquement à prendre en compte le caractère systémique et transversal des enjeux de l’eau tout en tentant de dépasser la vision sectorielle, associé à une gouvernance plus locale.
Un projet ancré sur un territoire breton : Lorient Agglomération
Le projet « Rivières 2070 » vise ainsi, dans un premier temps, à analyser la territorialisation de cette politique de gestion de l’eau, c’est-à-dire sa mise en œuvre concrète à l’échelle locale, en s’intéressant tout particulièrement au territoire intercommunal de Lorient Agglomération (Morbihan). Sur ce territoire, le système d’alimentation en eau s’appuie actuellement à plus de 80% sur des prélèvements dans les eaux de surface, dans les rivières du Scorff et du Blavet, le reste s’appuyant sur les eaux souterraines. Cette caractéristique s’explique par le contexte géologique cristallin (roches granitiques et schisteuses) du massif Armoricain, qui ne favorise ni l’accès à la ressource en eau, ni le stockage d’eau sur de longues périodes. Pour cette raison, la Bretagne dispose d’une quantité d’eau souterraine limitée. De plus, eaux de surface et eaux souterraines étant particulièrement connectées en Bretagne (la majorité des cours d’eau dépendent des nappes), les prélèvements doivent être limités, en particulier en cas de sécheresse soutenue, si l’on veut limiter les impacts sur les écosystèmes (cours d’eau, zones humides, et espèces qui en dépendent). Ce conflit entre besoins anthropiques et besoins des écosystèmes fait ainsi de l’approvisionnement en eau un enjeu majeur de gestion. Ces dernières années, le territoire de Lorient Agglomération a vu se multiplier la fréquence des arrêtés pour sécheresse, entrainant des tensions sur l’approvisionnement en eau, tout particulièrement en période estivale. Se pose ainsi la question de sa capacité à subvenir aux besoins des populations sur le long terme, en particulier au regard des nombreuses incertitudes concernant l’avenir (changement climatique, pressions anthropiques).
Une démarche participative et locale…
Dans un second temps, l’ambition du projet « Rivières 2070 » est de déployer une démarche de recherche sur un territoire pilote (Lorient Agglomération) afin de (1) tester une nouvelle manière de penser la gestion intégrée de l’eau au niveau local ; et (2) tester une nouvelle forme de partage de connaissances entre société et milieu académique, en particulier d’outils permettant de réduire les incertitudes concernant l’avenir (aide à la décision).
Dans ce contexte, le projet « Rivières 2070 » vise à mettre en place une démarche participative de gestion de la ressource en eau à l’échelle territoriale, autour de plusieurs objectifs :
- Objectif de cohérence : adopter une vision plus systémique et transversale des enjeux de l’eau sur le territoire.
- Objectif de planification : mieux prendre en compte et de rendre visible les impacts des pressions climatiques et anthropiques dans leur complexité à l’échelle locale.
- Objectif de participation : co-construire avec les différents acteurs du territoire (scientifiques, politiques, gestionnaires au sens large, citoyens) une gouvernance adaptative face aux pressions climatiques et anthropiques.
… articulée autour de 3 ateliers
Cette démarche de prospective est composée de trois ateliers participatifs :
- Séance 1
Un atelier servant à construire une base commune de connaissances sur les enjeux de l’eau (sous forme d’un atelier type “Fresque du Climat” adapté aux enjeux de l’eau et du territoire). - Séance 2
Un atelier servant à co-construire des scénarios prospectifs concernant l’évolution du territoire (démographie, tourisme, agriculture, urbanisme…) qui seront ensuite modélisés. - Séance 3
Un atelier pour présenter les résultats de modélisation et se projeter collectivement dans les futurs probable du territoire, dans la perspective de prise de décision en concertation.
Une modélisation qui intègre l’ensemble des dimensions
L’enjeu du projet « Rivières 2070 » réside dans le couplage des formes de modélisation issues de plusieurs disciplines, allant des sciences physiques et naturelles aux sciences sociales. Les connaissances scientifiques autour de la compréhension des contrôles climatiques, écologiques et socio-économiques sont injectés dans des modèles numériques représentant les divers chemins de l’eau connectant versant, aquifère et rivière. Ainsi, les résultats de la modélisation intègrent l’ensemble des aspects de la gouvernance locale.
A partir des scénario prospectifs co construits, la modélisation envisagée dans la séance 2 devrait donc permettre de simuler les évolutions de l’occupation des sols et la disponibilité de la ressource en eau à l’échelle des bassins versants du Scorff et du Blavet. Cette modélisation, qui se fera à l’aide du modèle CWatM, inclura également les différents usages de l’eau (en fonction des besoins), ainsi que les pressions climatiques issues de différents scénarios du GIEC (traduits localement par MétéoFrance).
La réalité virtuelle au service de la gouvernance environnementale
Le projet « Rivières 2070 » ambitionne de développer des modèles pour représenter virtuellement les probables évolutions paysagères futures, via une approche prospective à un horizon de 50 ans. Les paysages numériques virtuels générés intégreront l’impact probable des scénarios prospectifs en matière de politiques de gestion et d’aménagement des territoires co construits en séance 2, et ce sous contrainte climatique. Ils seront présentés aux acteurs lors de la séquence 3, en plus des résultats des modélisations. L’hypothèse est que ces représentations des futurs probables des paysages permettent de réduire l’incertitude de la décision (politique, de gestion) tout en conservant, en partie, la complexité des enjeux qu’elle soulève. Pour cela, une attention particulière est portée à la prise en compte des éventuelles tensions créent par les décisions en termes de conflits d’usage et de choix politiques.
Temps d’échanges autour du projet
A l’occasion de la réunion du Groupe de travail Ressources en eau & Changement climatique animé par le Creseb le 07/07/2022, Elias Ganivet a présenté l’état d’avancement de ses travaux de thèse ‘Représentation des futurs possibles d’un territoire sous pressions climatiques et anthropiques en lien avec la ressource en eau : une approche au croisement des sciences naturelles et des sciences humaines et sociales’. Ces travaux, co-encadrés par Véronique Van Tilbeurgh (sociologue de l’environnement, Univ. Rennes2) et Laurent Longuevergne (hydrogéologue, Géosciences Rennes), s’inscrivent dans le projet Rivière 2070 et ont pour objectif d’établir une démarche prospective participative sur l’impact des pressions climatiques et anthropiques à l’échelle locale.
Soutenance de thèse
Elias Ganivet (Université de Rennes, Géosciences Rennes / OSUR) a soutenu sa thèse le 29 juin 2023 à Rennes.
Thèse présentée et soutenue à Rennes, le 29 Juin 2023 Unités de recherche : UMR 6118 Géosciences Rennes & UMR 6590 Espaces et Sociétés
Résumé : L’ampleur des bouleversements planétaires en cours (« changements globaux ») nous impose de modifier rapidement et drastiquement nos modes de vie, de gestion et d’organisation. A travers cette thèse, nous avons choisi d’aborder une partie des impacts des changements globaux sous le prisme de l’eau ‒ cette ressource se retrouvant à l’interface entre climat, écosystèmes et activités humaines, et dont la diminution multiplie les tensions dans l’espace public. L’objectif de cette thèse a ainsi été de développer une démarche ‒ intégrant modélisation et dimension participative ‒ afin de rendre visible la complexité des systèmes socio-environnementaux et l’impact des changements globaux (actuels et à venir), dans le but d’aider les prises de décision en concertation à l’échelle territoriale. Réalisé en Bretagne, sur le territoire de Lorient Agglomération et des bassins versants du Scorff et du Blavet, ce travail a conduit à l’élaboration d’une démarche en trois temps baptisée « Eau et Territoire » : (1) construction d’une base commune de connaissance sur les enjeux de l’eau et des changements globaux ; (2) co-construction de scénarios prospectifs afin d’identifier des évolutions possibles pour le territoire ; et (3) projection collective dans les futurs possibles du territoire afin d’identifier des trajectoires souhaitables. S’il n’est pas possible d’évaluer dès aujourd’hui l’impact de cette démarche sur les futures prises de décisions, elle aura au moins permis d’offrir un espace d’échange et de participation pour concevoir la complexité du système et envisager collectivement des leviers d’adaptation.
Mots clés : Gestion de l’eau ; Anthropocène ; Interdisciplinarité ; Relations sciences-société ; Aménagement du territoire ; Pressions climatiques et anthropiques